PHOTOCLUBBING#18
JANVIER 2024
mois palaisien de la photo depuis 2007
CE QUI RESTE Renaud Saint-Cricq
La Fabrique Culturelle, 10 avenue de Stalingrad, Palaiseau
mardi et vendredi 16h -19h, mercredi et samedi 10h -19h Entrée libre
Rencontre avec la photographe
samedi 10 janvier 2026 à 16h30 à la Fabrique Culturelle et à 19h à la MJC
Renaud Saint-Cricq, né en 1972, vit et travaille à Paris. Journaliste au Parisien pendant 10 ans, il travaille aujourd’hui à France Télévisions. Depuis sa rencontre avec un Rolleiflex, il se consacre également à la photographie, notamment la photographie documentaire, avec une affection toute particulière pour les gens. Parmi ses sujets de prédilection, les manifestations, la pop culture et les thématiques liées à la politique et au monde du travail. Il aime aussi les séries au long cours: il suit ainsi une équipe vétérans de football depuis sept ans et s’intéresse à la place des femmes et leurs prises de parole dans l’espace public depuis la révolution #metoo. Il présente trois séries dans le cadre de Photoclubbing 2026 : Biscarrosse Plage, La vie de bureau, Tant qu’il y aura les fleurs. .
BISCARROSSE-PLAGE
Les mois d’août de mon enfance sentaient la mer, le sable et la crème solaire. C’était Carnon-Plage et son soleil qui tape. Mes parents faisaient le trajet quotidien depuis Montpellier, où on habitait, on se garait le plus près possible du bar de l’hôtel Gédéon, où ils prendraient à coup sûr une «mousse» bien fraiche quelques heures plus tard avant de repartir, et on posait serviettes et parasol sur la plage en face, de l’autre côté de la rue. On arrivait le matin, avec notre pique-nique, des oeufs durs et des sandwiches la plupart du temps, et je passais des heures, épuisette en mains, à traquer des cre- vettes et des crabes avec mon frère dans les digues de rochers. C’était un joyeux bordel d’émotions. J’aimais cette sensation de chaleur sur la peau, le sable couleur d’or, l’odeur salée de l’air et le bruit des touristes qui s’amusent. J’ai vieilli et depuis une dizaine d’années, j’ai troqué la Méditerranée pour les Landes, et Carnon pour Biscarrosse-Plage, une petite station balnéaire coincée entre la forêt et l’Atlantique. Ca sent les pins et l’iode, et l’été, j’y retrouve ce que j’aime: des touristes venus de partout et de toute classe, des bourgeois aux prolos, une foule joyeuse qui se jette dans les rouleaux et se promène sur l’esplanade centrale. Il y a du sable, des corps qui bronzent et des coups de soleil, des cris de gamins, des vendeurs de glace. C’est cet état de joie et de chaleur, cet abandon propre aux vacances d’été et ce parfum de mon enfance que je tente de traduire en images depuis dix ans.
LA VIE DE BUREAU
En France, en 2019, 8,1 millions de personnes, soit un tiers du nombre total de salariés, occupaient un emploi de bureau. Si le Covid est passé par là, et avec lui le désamour des salariés pour la vie de bureau et le plébiscite du télétravail, les entreprises attendent toujours du bureau qu’il reste le lieu privilégié pour faire vivre et maintenir le travail en commun. Et en 2024, l’idéal du bureau n’a pas tant changé que ça. Il y est toujours question d’un double élan: la logique d’uniformisation de l’entreprise, sa volonté de conformer ses employés, et le désir, rebelle et incarné, du salarié d’investir son espace et de marquer son territoire. Murs blancs, machines et lignes droites d’un côté, plantes, souvenirs et courbes de l’autre. Cette bataille silencieuse qui se joue dans le bureau, c’est celle que j’ai eu envie de photographier début 2024, quand j’ai eu accès aux étages d’une grande entreprise pendant plusieurs jours. Chaque matin, avant l’arrivée des salariés, j’ai parcouru les couloirs, arpenté les bureaux, cherché et enregistré les traces de vie humaine dans ce décor immaculé et dépouillé. Ca donne cette série, « La vie de bureau », ces traces de vie, d’écriture, ces fils emmêlés, ces plantes passées, et le sentiment que, dans ce décor impersonnel d’un idéal administratif contemporain, la subjectivité du salarié n’a pas encore rendu les armes.
TANT QU’IL Y AURA LES FLEURS
Ma mère ne me reconnaît plus. La faute à la maladie d’Alzheimer. Longtemps, aussi longtemps que possible, elle est restée près de mon père, dans leur maison de Montpellier. Il y a six ans, en y arrivant pour un week-end d’été, je suis tombé nez-à-nez sur des bouquets de fleurs - quinze, pour être exact – éparpillés un peu partout dans l’entrée, le salon, la salle à manger et la cuisine. Quasi normal, à première vue, si ce n’est le nombre, ma mère a toujours aimé fleurs. Mais à y bien regarder, chaque bouquet portait la trace d’Alzheimer : ici une boule de Noel jointe à la lavande, là une boite de biscuit allemand transformée en vase, de l’eau croupie, des fleurs fanées. Dans l’urgence, j’ai proposé à ma mère de m’aider à réaliser le portrait de ses bouquets. On s’est mis dehors, il faisait beau, avec un peu de vent. On a monté des chaises sur la table de jardin en plastique et on a étendu un drap blanc. Ma mère tenait le linge, amusée, sans vraiment comprendre le sens de ce qu’on faisait ensemble. J’ai sorti mon Rolleiflex et deux rouleaux de film. J’ai pris les photos, avec ma mère près de moi, puis je l’ai interrogée. Très sérieusement, elle m’a expliqué qu’elle vendait ses bouquets et qu’elle rencontrait du succès. Bien sûr, elle n’a jamais rien vendu. Elle s’est entourée de fleurs tout au long de sa vie, mais c’était surtout pour les peindre, à l’aquarelle et à l’huile, ou les dessiner au pastel… Ses paroles, qui forment un ensemble entrecoupé d’hésitations de sept minutes – l’arrivée d’une infirmière a mis fin la séance -, je les ai posées sous les images de ses bouquets. Ma mère s’appelle Dominique. De temps en temps, encore aujourd’hui, elle revient près de ses fleurs, dans un jardin qu’elle ne reconnaît plus.